Voici un mix constitué de deux planches extraites de Reportages de Joe Sacco
Chacune comporte une scène de massacre.
L'une est en couleur l'autre en N&B.
Pourquoi choisir l'une plutôt que l'autre ?
Quelles sont les options graphiques de Joe Sacco en général ?
Mise au point :
- prises de contacts intervenants et rendez-vous.
- facture matériel.
- choisir aussi les livres qui peuvent compléter (notamment vérifier quels livres au programme est traduit)
- facture matériel.
- choisir aussi les livres qui peuvent compléter (notamment vérifier quels livres au programme est traduit)
Nous avons observé avec Guibert le jeu précurseur/continuateurs. Nous allons poursuivre cette observation avec Joe Sacco, lui aussi précurseur (initiateur, inspirateur, fondateur comme on veut) de la BD de reportages, au sens le plus précis ("pur" si l'on veut) du terme qu'il revendique par ailleurs au point d'écrire un manifeste.
Quels sont les enjeux d'un tel manifeste ?
On trouvera des points communs (par ex : lui-aussi se positionne par rapport à l'usage de la photographie) et des différences (il ne dessine pas un personnage-photographe mais il utilise la photo sans prétention artistique comme matériau). Quelles sont-elles ?
Mais commençons par nous demander pourquoi nous intéresser à un dessinateur et journaliste américain. Quel est son lien avec la France ? Est-ce qu'il s'agit d'une influence semblable à celle qu'a exercé le New journalism sur le journalisme littéraire (Truman Capote sur Emmanuel Carrère, etc.) ?
Son premier volume Palestine a d'abord été publié aux E.U. chez Fantagraphics de 1993 à 95 puis en France chez Vertige Graphic de 96 à 98. Il a obtenu de nombreux prix (Prix France Info de la BD d'actualité - Prix Eisner; etc.). Voir bio.
Puis lisons son manifeste.
I - Le manifeste fondateur pour la BD de reportage de Joe Sacco :
Manifeste, ce n'est pas un mot anodin. Il est correspond à
la volonté inaugurale de fonder un mouvement. C'est nouveau. C'est massif.
C'est un appel.
1°
"un manifeste, quelqu'un ?"
- Le
volume Reportages contient comme son
nom l’indique une série de reportages qui ont été publiés dans des revues
variées. Ce fait est susceptible de « mettre en déroute tous ceux qui
contestent par principe la légitimité du journalisme sous forme de bandes
dessinées ».
Cela
implique que la BD de reportage a des adversaires. Quels peuvent-ils
être ? Les journalistes eux-mêmes. Ceux qui sont susceptibles au sein
d’une rédaction d’accepter ou non le travail d’un dessinateur de BD et de la
publier. Quelles sont leurs objections ?
- La valeur d’objectivité du reportage :
« la vérité objective n’était-elle pas la question centrale du
journalisme ? ». La subjectivité est exprimée par la présence dans les
planches du dessinateur et revendiquée comme telle. Ce n’est donc pas pur
narcissisme (reproche implicite) mais posture théorique.
- La concurrence avec la photo (dont on
parlait la semaine dernière):
« Les
dessins sont des interprétations, même quand ils sont des reproductions
serviles de photographies – lesquelles sont généralement perçus comme des
captures fidèles d’un moment réel ». Le journalisme donne tout son crédit
à la photo comme organe d’objectivité, comme garant.
« Un
dessinateur de BD assemble délibérément des éléments et les dispose à dessein
sur la page. Cela n’a rien à voir avec le travail du photographe, qui a la
chance de capturer une image au moment opportun. »
- Plus loin que le journalisme :
« Les obligations fondamentales du journaliste – rendre compte fidèlement,
reproduire les citations avec exactitude et vérifier les affirmations –
subsistent. Mais un journaliste BD a l’obligation d’aller encore plus loin. »
- La vérité essentielle VS littérale :
« On ne peut imaginer deux dessinateurs de BD représentant un camion des
Nations Unies exactement de la même manière, même s’ils travaillent sur le même
document de référence. »
- Exigence personnelle de fidélité :
« Pour moi, tout ce qui peut être dessinée fidèlement doit l’être –
j’entends par là qu’une chose dessinée doit pouvoir être facilement identifiée
comme celle qu’elle représente dans la réalité ».
- Recours à « l’imagination informée »
pour la reconstitution de certaines scènes : « Tout ce que je
dessine doit être ancrée dans les spécificités de l’époque, du lieu et de la
situation que je m’efforce de recréer. »
- Comparaison avec le cinéma (on a vu la
semaine dernière une comparaison analogue avec Bilal) : « Pour
faire une analogie avec le cinéma, un dessinateur de BD est à la fois
décorateur, costumier et directeur de casting ».
- Souligner le reportage subjectif :
« Comme il est difficile (mais pas impossible) de m’extraire d’une
histoire que je dessine, je ne cherche pas à le faire. L’effet produit, d’un
point de vue journalistique, est libérateur. Comme je suis un
« personnage » dans mon propre travail, je me donne la permission
journalistique de montrer mes interactions avec les gens que je rencontre.
Il
insiste sur le fait que c’est personnel. Et donc qu’on peut imaginer une autre
approche de la BD de reportage.
On
retrouve des préoccupations qu’on avait déjà vu quand on parlait de journalisme
littéraire et de new journalism. De ce point de vue, il y a continuité !
- Quelques métaphores éloquentes pour décrire
l’impossible neutralité objective du journaliste : « Les journalistes
ne sont pas des mouches sur le mur, que nul ne voit ni n’entend. » ni « une
ardoise vierge sur laquelle ses nouvelles observations, faites d’un œil
perçant, peuvent désormais être imprimées. »
- Autre
impossibilité l’équilibre des points de vue (VS le parti-pris) :
« l’équilibre ne doit pas être un écran de fumée pour cacher la paresse. »
Là Sacco pointe du doigt un type de journalisme et une institution : les
écoles de journalisme. Il y a une part de règlement de compte bien sûr dans ce
manifeste. Il prend une position morale contre les puissants, les
« dominants » pour parler comme Bourdieu, les « médias
traditionnels ». C’est une posture probablement très honorable (mais en
même temps assez convenu… qu’importe ?). Il manifeste par là son
appartenance à un journalise issu du milieu alternatif,
« underground »… C’est un posture éthique pas seulement propre à la
BD de reportage.
« Je
me soucie surtout de ceux qui ont rarement l’occasion d’être entendus, et ne
crois pas qu’il m’incombe de contrebalancer leurs voix avec les excuses bien
ourdies des puissants ».
Commentaires sur le manifeste :
- Il faudra vérifier à quel point l'exigence d'être "à côté de ceux qui souffrent" peut être un critère de définition de la Bd de reportage. Cela expliquerait le "cadre humanitaire" dans lequel prennent vie les Bd qu'on vient d'étudier (Le Photographe, Cliché de Bosnie, Reportages).
- La stratégie rhétorique de Sacco, pour défendre la BD de reportage, consiste à exploiter un paradoxe étonnant lié au statut de "Tintin non fictif" : En se représentant dans sa BD, en revendiquant une posture subjective, le dessinateur est plus fidèle à la réalité, puisqu'il s'oblige à représenter les "interactions du journaliste avec son environnement et les personnes interviewées". Le point de vue objectif consisterait à les supprimer et donc à ne pas représenter la réalité. La seule réalité possible est subjective pour un journaliste. L'objectivité est impossible.
- le concept d' "imagination informée" me semble (plus que celui de vérité essentielle VS vérité littérale) le propre de la Bd de reportage dans la mesure où elle permet de faire se chevaucher la réalité et l'imagination qui sont traditionnellement opposée. La Bd de reportage se déploie dans ce chevauchement.
- De la comparaison avec le cinéma (Sacco, mais aussi Bilal et les autres) on peut considérer que la BD de reportage est sans doute le médium le plus complet parmi ceux qui sont à l'échelle de l'individu. Le cinéma suppose lui-aussi un nombre de compétences extrême mais assumé par grand nombre d'individu, là où la BD peut n'en exiger qu'un seul. Cette richesse a une contre-partie : le temps de réalisation est très long.
- Il est un reproche qui n’apparaît pas ici et qui est plus technique qu’idéologique (et donc cela intéresse moins Sacco). C’est pourtant une objection de taille. C’est que faire une BD de reportage cela prend en effet du temps, énormément de temps, bien plus de temps que d’écrire simplement un reportage, un grand reportage, lequel tend déjà à disparaître pour des raisons essentiellement économique. Les rédactions n’ont plus les moyens de financer le voyage de grands reporters, comment le pourraient-elles avec des dessinateurs qui ont besoin de trois fois plus de temps (au moins) pour écrire leur reportage. Cet écueil me paraît bien plus problématique que l’objection du manque d’objectivité.
- Il faudra vérifier à quel point l'exigence d'être "à côté de ceux qui souffrent" peut être un critère de définition de la Bd de reportage. Cela expliquerait le "cadre humanitaire" dans lequel prennent vie les Bd qu'on vient d'étudier (Le Photographe, Cliché de Bosnie, Reportages).
- La stratégie rhétorique de Sacco, pour défendre la BD de reportage, consiste à exploiter un paradoxe étonnant lié au statut de "Tintin non fictif" : En se représentant dans sa BD, en revendiquant une posture subjective, le dessinateur est plus fidèle à la réalité, puisqu'il s'oblige à représenter les "interactions du journaliste avec son environnement et les personnes interviewées". Le point de vue objectif consisterait à les supprimer et donc à ne pas représenter la réalité. La seule réalité possible est subjective pour un journaliste. L'objectivité est impossible.
- le concept d' "imagination informée" me semble (plus que celui de vérité essentielle VS vérité littérale) le propre de la Bd de reportage dans la mesure où elle permet de faire se chevaucher la réalité et l'imagination qui sont traditionnellement opposée. La Bd de reportage se déploie dans ce chevauchement.
- De la comparaison avec le cinéma (Sacco, mais aussi Bilal et les autres) on peut considérer que la BD de reportage est sans doute le médium le plus complet parmi ceux qui sont à l'échelle de l'individu. Le cinéma suppose lui-aussi un nombre de compétences extrême mais assumé par grand nombre d'individu, là où la BD peut n'en exiger qu'un seul. Cette richesse a une contre-partie : le temps de réalisation est très long.
- Il est un reproche qui n’apparaît pas ici et qui est plus technique qu’idéologique (et donc cela intéresse moins Sacco). C’est pourtant une objection de taille. C’est que faire une BD de reportage cela prend en effet du temps, énormément de temps, bien plus de temps que d’écrire simplement un reportage, un grand reportage, lequel tend déjà à disparaître pour des raisons essentiellement économique. Les rédactions n’ont plus les moyens de financer le voyage de grands reporters, comment le pourraient-elles avec des dessinateurs qui ont besoin de trois fois plus de temps (au moins) pour écrire leur reportage. Cet écueil me paraît bien plus problématique que l’objection du manque d’objectivité.
C’est aussi
pour ça que la BD de reportage est précieuse – parce qu’elle échappe à une
forme d’obligation économique, parce que le dessinateur de BD de reportage,
comme l’écrivain, doit payer de sa personne !
C'est un point commun des BD de reportage qu'on vient d'analyser. 1 - Les journalistes sont démunis, fonctionne à l'économie, il travaille sur leur denier personnel. 2 - Il fait le sacrifice d'une part de son existence.
C'est un point commun des BD de reportage qu'on vient d'analyser. 1 - Les journalistes sont démunis, fonctionne à l'économie, il travaille sur leur denier personnel. 2 - Il fait le sacrifice d'une part de son existence.
2° "Quelques réflexions sur Palestine" par Joe Sacco.
II - Un reportage complet issu de Reportages ou de la revue XXI ?
Observons quelques planches extraites du chapitre "Caucase" pour les commenter
III - Radio
Joe Sacco à l'émission "Un Autre jour est possible" (20 juin 2014)
https://www.franceculture.fr/emissions/un-autre-jour-est-possible/joe-sacco-bd-un-ete-chez-les-inuits-serie
Joe sacco se définit comme dessinateur de BD mais aussi comme journaliste pratiquant le "slow journalism". Les deux étiquettes sont importantes mais c'est leur simultanéité qui importe le plus.
IV - Exercices : Le profil de 3 apprentis BD reporter. Couleurs ou N & B ?
Aujourd'hui distribution de boites de couleur Sennelier (excusez du peu). C'est une grande marque parisienne. Je voulais à l'origine des Windsor et Newton pour la qualité autant que pour l'histoire mais Sennelier n'a pas non plus à rougir... ses couleurs sont aussi très renommées.
Exercice 1 : reprenez vos portraits (profil) pour les aquareller
Exercice 2 : un strip pour la semaine prochaine
1 - croquez une scène en extérieur dans le campus (vous pouvez vous aider d'une photo) assez précisément.
2 - reprenez les informations de ce croquis pour faire un décor. Reproduisez ce décor dans trois cases distinctes pour faire une bande (un strip) et dans lequel vous faites évoluer un personnage.