mardi 26 septembre 2017

Cours n° 45 Bd de reportage 3. Le manifeste pour la BD de reportage de Joe Sacco.


Voici un mix constitué de deux planches extraites de Reportages de Joe Sacco 

Chacune comporte une scène de massacre.
L'une  est en couleur l'autre en N&B.

Pourquoi choisir l'une plutôt que l'autre ?
Quelles sont les options graphiques de Joe Sacco en général ?


Mise au point : 
- prises de contacts intervenants et rendez-vous.
- facture matériel.
- choisir aussi les livres qui peuvent compléter (notamment vérifier quels livres au programme est traduit)

Nous avons observé avec Guibert le jeu précurseur/continuateurs. Nous allons poursuivre cette observation avec Joe Sacco, lui aussi précurseur (initiateur, inspirateur, fondateur comme on veut) de la BD de reportages, au sens le plus précis ("pur" si l'on veut) du terme qu'il revendique par ailleurs au point d'écrire un manifeste. 

Quels sont les enjeux d'un tel manifeste ?

On trouvera des points communs (par ex : lui-aussi se positionne par rapport à l'usage de la photographie) et des différences (il ne dessine pas un personnage-photographe mais il utilise la photo sans prétention artistique comme matériau). Quelles sont-elles ? 

Mais commençons par nous demander pourquoi nous intéresser à un dessinateur et journaliste américain. Quel est son lien avec la France ? Est-ce qu'il s'agit d'une influence semblable à celle qu'a exercé le New journalism sur le journalisme littéraire (Truman Capote sur Emmanuel Carrère, etc.) ?  

Son premier volume Palestine a d'abord été publié aux E.U. chez Fantagraphics de 1993 à 95 puis en France chez Vertige Graphic de 96 à 98. Il a obtenu de nombreux prix (Prix France Info de la BD d'actualité - Prix Eisner; etc.). Voir bio.

Puis lisons son manifeste. 


I - Le manifeste fondateur pour la BD de reportage de Joe Sacco : 

Manifeste, ce n'est pas un mot anodin. Il est correspond à la volonté inaugurale de fonder un mouvement. C'est nouveau. C'est massif. C'est un appel.

1° "un manifeste, quelqu'un ?"

- Le volume Reportages contient comme son nom l’indique une série de reportages qui ont été publiés dans des revues variées. Ce fait est susceptible de « mettre en déroute tous ceux qui contestent par principe la légitimité du journalisme sous forme de bandes dessinées ».

Cela implique que la BD de reportage a des adversaires. Quels peuvent-ils être ? Les journalistes eux-mêmes. Ceux qui sont susceptibles au sein d’une rédaction d’accepter ou non le travail d’un dessinateur de BD et de la publier. Quelles sont leurs objections ?

- La valeur d’objectivité du reportage : « la vérité objective n’était-elle pas la question centrale du journalisme ? ». La subjectivité est exprimée par la présence dans les planches du dessinateur et revendiquée comme telle. Ce n’est donc pas pur narcissisme (reproche implicite) mais posture théorique.

- La concurrence avec la photo (dont on parlait la semaine dernière): 
« Les dessins sont des interprétations, même quand ils sont des reproductions serviles de photographies – lesquelles sont généralement perçus comme des captures fidèles d’un moment réel ». Le journalisme donne tout son crédit à la photo comme organe d’objectivité, comme garant.

« Un dessinateur de BD assemble délibérément des éléments et les dispose à dessein sur la page. Cela n’a rien à voir avec le travail du photographe, qui a la chance de capturer une image au moment opportun. »

- Plus loin que le journalisme : « Les obligations fondamentales du journaliste – rendre compte fidèlement, reproduire les citations avec exactitude et vérifier les affirmations – subsistent. Mais un journaliste BD a l’obligation d’aller encore plus loin. »

- La vérité essentielle VS littérale : « On ne peut imaginer deux dessinateurs de BD représentant un camion des Nations Unies exactement de la même manière, même s’ils travaillent sur le même document de référence. »

- Exigence personnelle de fidélité : « Pour moi, tout ce qui peut être dessinée fidèlement doit l’être – j’entends par là qu’une chose dessinée doit pouvoir être facilement identifiée comme celle qu’elle représente dans la réalité ».

- Recours à « l’imagination informée » pour la reconstitution de certaines scènes : « Tout ce que je dessine doit être ancrée dans les spécificités de l’époque, du lieu et de la situation que je m’efforce de recréer. »

- Comparaison avec le cinéma (on a vu la semaine dernière une comparaison analogue avec Bilal) : « Pour faire une analogie avec le cinéma, un dessinateur de BD est à la fois décorateur, costumier et directeur de casting ».

- Souligner le reportage subjectif : « Comme il est difficile (mais pas impossible) de m’extraire d’une histoire que je dessine, je ne cherche pas à le faire. L’effet produit, d’un point de vue journalistique, est libérateur. Comme je suis un « personnage » dans mon propre travail, je me donne la permission journalistique de montrer mes interactions avec les gens que je rencontre.

Il insiste sur le fait que c’est personnel. Et donc qu’on peut imaginer une autre approche de la BD de reportage.
On retrouve des préoccupations qu’on avait déjà vu quand on parlait de journalisme littéraire et de new journalism. De ce point de vue, il y a continuité !

- Quelques métaphores éloquentes pour décrire l’impossible neutralité objective du journaliste : « Les journalistes ne sont pas des mouches sur le mur, que nul ne voit ni n’entend. » ni « une ardoise vierge sur laquelle ses nouvelles observations, faites d’un œil perçant, peuvent désormais être imprimées. »

- Autre impossibilité l’équilibre des points de vue (VS le parti-pris) : « l’équilibre ne doit pas être un écran de fumée pour cacher la paresse. » Là Sacco pointe du doigt un type de journalisme et une institution : les écoles de journalisme. Il y a une part de règlement de compte bien sûr dans ce manifeste. Il prend une position morale contre les puissants, les « dominants » pour parler comme Bourdieu, les « médias traditionnels ». C’est une posture probablement très honorable (mais en même temps assez convenu… qu’importe ?). Il manifeste par là son appartenance à un journalise issu du milieu alternatif, « underground »… C’est un posture éthique pas seulement propre à la BD de reportage.

« Je me soucie surtout de ceux qui ont rarement l’occasion d’être entendus, et ne crois pas qu’il m’incombe de contrebalancer leurs voix avec les excuses bien ourdies des puissants ».

Commentaires sur le manifeste 
- Il faudra vérifier à quel point l'exigence d'être "à côté de ceux qui souffrent" peut être un critère de définition de la Bd de reportage. Cela expliquerait le "cadre humanitaire" dans lequel prennent vie les Bd qu'on vient d'étudier (Le Photographe, Cliché de Bosnie, Reportages).

- La stratégie rhétorique de Sacco, pour défendre la BD de reportage, consiste à exploiter un paradoxe étonnant lié au statut de "Tintin non fictif" : En se représentant dans sa BD, en revendiquant une posture subjective, le dessinateur est plus fidèle à la réalité, puisqu'il s'oblige à représenter les "interactions du journaliste avec son environnement et les personnes interviewées". Le point de vue objectif consisterait à les supprimer et donc à ne pas représenter la réalité. La seule réalité possible est subjective pour un journaliste. L'objectivité est impossible. 

- le concept d' "imagination informée" me semble (plus que celui de vérité essentielle VS vérité littérale) le propre de la Bd de reportage dans la mesure où elle permet de faire se chevaucher la réalité et l'imagination qui sont traditionnellement opposée. La Bd de reportage se déploie dans ce chevauchement. 

- De la comparaison avec le cinéma (Sacco, mais aussi Bilal et les autres) on peut considérer que la BD de reportage est sans doute le médium le plus complet parmi ceux qui sont à l'échelle de l'individu. Le cinéma suppose lui-aussi un nombre de compétences extrême mais assumé par grand nombre d'individu, là où la BD peut n'en exiger qu'un seul. Cette richesse a une contre-partie : le temps de réalisation est très long. 

- Il est un reproche qui n’apparaît pas ici et qui est plus technique qu’idéologique (et donc cela intéresse moins Sacco). C’est pourtant une objection de taille. C’est que faire une BD de reportage cela prend en effet du temps, énormément de temps, bien plus de temps que d’écrire simplement un reportage, un grand reportage, lequel tend déjà à disparaître pour des raisons essentiellement économique. Les rédactions n’ont plus les moyens de financer le voyage de grands reporters, comment le pourraient-elles avec des dessinateurs qui ont besoin de trois fois plus de temps (au moins) pour écrire leur reportage. Cet écueil me paraît bien plus problématique que l’objection du manque d’objectivité.


C’est aussi pour ça que la BD de reportage est précieuse – parce qu’elle échappe à une forme d’obligation économique, parce que le dessinateur de BD de reportage, comme l’écrivain, doit payer de sa personne ! 

C'est un point commun des BD de reportage qu'on vient d'analyser. 1 - Les journalistes sont démunis, fonctionne à l'économie, il travaille sur leur denier personnel. 2 - Il fait le sacrifice d'une part de son existence.



2° "Quelques réflexions sur Palestine" par Joe Sacco.


II - Un reportage complet issu de Reportages ou de la revue XXI ?

Observons quelques planches extraites du chapitre "Caucase"  pour les commenter












III - Radio 

Joe Sacco à l'émission "Un Autre jour est possible" (20 juin 2014)

https://www.franceculture.fr/emissions/un-autre-jour-est-possible/joe-sacco-bd-un-ete-chez-les-inuits-serie

Joe sacco se définit comme dessinateur de BD mais aussi comme journaliste pratiquant le "slow journalism". Les deux étiquettes sont importantes mais c'est leur simultanéité qui importe le plus.



IV - Exercices : Le profil de 3 apprentis BD reporter. Couleurs ou N & B ?


Aujourd'hui distribution de boites de couleur Sennelier (excusez du peu). C'est une grande marque parisienne. Je voulais à l'origine des Windsor et Newton pour la qualité autant que pour l'histoire mais Sennelier n'a pas non plus à rougir... ses couleurs sont aussi très renommées.

Exercice 1 : reprenez vos portraits (profil) pour les aquareller

Exercice 2 : un strip pour la semaine prochaine 

1 - croquez une scène en extérieur dans le campus (vous pouvez vous aider d'une photo) assez précisément.
2 - reprenez les informations de ce croquis pour faire un décor. Reproduisez ce décor dans trois cases distinctes pour faire une bande (un strip) et dans lequel vous faites évoluer un personnage.













mardi 19 septembre 2017

Cours n°44 BD de reportage 2 : un Tintin non fictif


Qu'est-ce que la ligne claire ? 
Que sont les aplats de couleur ? 
Quelles sont les différences entre ces deux dessins ? 
Que peut-on en dire ? 


Il va falloir assez rapidement contacter les intervenants et les personnes à interviewer pour voir les disponibilité des uns et des autres.  Qui contacter ? Comment ? 

Auteurs
- Sean Chuang (小莊) auteur d’un Journal intime des années 80 à Taiwan (80年代事件蒲).
- Row-long Chiu auteur de Seediq Bale ((賽德克·巴萊
- Lin Li-Chin, auteur de Formose
- Golo auteur de Made in Taiwan I et II
- Xavier Mehl, ancien journaliste à RFI, fixer, photographe et dessinateur.

Contact : Maison d'édition.  

Des spécialistes de la BD reportage
-  Aho Huang, rédacteur en chef des Editions Dala.
- Chen Wenyao, tradutrice des BDs (Un Printemps À Tchernobyl d'Emmanuel Lepage, Le monde d'Edena de Moebius, Polina de Bastien Vivès...)
- Zheng YenWei(鄭衍偉) fondateur et directeur de Paper film festival et consultant en « narration visuel »

Contact : Le Pigeonnier 信鴿法國書店 (Shannon : info@llp.com.tw)


Il va falloir également décider qui veut faire un stage. Qui est intéressé ? 


Petit rappel du cours précédent... Nous avons observé quelques planches du Photographe de Guibert, Lefèvre et Lemercier et avons fait les remarques suivantes :

- très créatif est l'intégration des photos dans la narration, dans la BD. c'est un mode d'intégration très varié (planche-contact, simple cliché, )
- il utilise parfois des procédés cinématographiques comme le champ-contre-champ (planche 1) : la photo pour le champ, le dessin pour le contre-champ. Cela crée un effet de miroir déformant et symboliquement place le dessin en concurrence avec la photo. Les deux arts se mesurent l'un l'autre.
- le dessinateur dessine également le hors-champ, c'est à dire ce que le photographe voit mais ne photographie pas... Cela lui donne une grande liberté et une grands plasticité... mais c'est aussi un travail très complexe de reconstitution et de narration...

- Le personnage non seulement journaliste mais aussi photographe... D'emblée la mise en scène du journaliste s'ouvre sur un nouvel héroïsme qui repose sur le concept d'un "Tintin non fictif", inspiré directement de la réalité (s'appuie sur une histoire vraie). Un tintin également sans Milou... sans mièvrerie inutile... ni zoomorphisme. On quitte le monde de l'enfance pour entrer dans celui de la BD adulte, dans le genre adulte.

- Ce genre adulte-sérieux se caractérise par un ton particulier et un procédé redoutable de dévoilement : on part de l'anodin, du quotidien, et soudain une mise en scène de l'image photographique, sertie par la dessin, honorée : l'horreur de la guerre et ce jeune homme "démandibulé" si on puit dire.

- Beaucoup de points communs avec deux autres albums qu'on peut considérer comme des continuateurs du Photographe.

Nous allons revenir sur ces deux albums continuateurs et sur quelques planches qui traitent de la photo pour tâcher de dégager un peu les relations compliquées que les deux médiums (dessins et photos) entretiennent entre eux.


I - un texte critique : littérature, théâtre, cinéma quels sont les liens de la BD avec les autres médiums. Plusieurs critiques et spécialistes de la BD ont comparé ce que devait la BD aux autres médias. Par exemple dans l'article suivant, Jean-Jacques Blain compare la photo au cinéma, au théâtre, à la littérature et montre leur rapports.

http://jjblain.pagesperso-orange.fr/new_site/apprendr/theorie/bdcine/bdcine1.htm

Relevons quelques remarques intéressantes de l'auteur.
Le schéma pour illustrer cette idée est assez explicite : « La BD fait partie de l’ensemble des images narratives, dans la mesure où elle « raconte » en décrivant une histoire ou en suggérant des émotions. Elle est proche du cinéma et du théâtre par la stratégie narrative, la recherche des personnages, le cadrage et la mise en scène. Elle est également proche de la littérature, dont elle adopte le récit et certaines formes narratives ».

Une autonomie qui justifie son titre de 9ème art : « La bande dessinée n’est cependant pas un dérivé ou un sous-produit d’une autre activité artistique ».

Le cinéma serait issu de la BD. L’idée surprenante. Pourquoi pas ? En tout cas elle lui est antérieure, ce qui est moins surprenant.

La BD se révèle être la plus complète si on adopte la distinction entre expression de la subjectivité et  représentation physique des personnages : « La présence visuelle, avec toutes les possibilités d’expression corporelle, est assurée au théâtre, au cinéma et avec la BD. Du personnage de cinéma (hors la voix off) ou de théâtre, nous ne savons que ce qu’il extériorise sur scène où à l’écran, où ce que d’autres personnages nous en disent. A l’inverse, le roman met souvent l’accent sur les propres pensées du personnage. La BD offre aussi cette possibilité ».

Les échanges entre les arts sont nombreux et réciproques :

« Beaucoup d’auteurs de BD ont clairement été influencé par le cinéma. C’est même une tendance qui caractérise manifestement le genre manga et comics d’aujourd’hui, avec des scénarios ou des mises en scène totalement cinématographiques ». 

L’inverse est vrai aussi. Les exemples de l’actualité cinématographique sont nombreux (Marvel, Hergé et Spielberg, Marjane Satrapi, etc. )


L’article rapporte ensuite les expériences que les dessinateurs ont faites au cinéma. Leur commentaire est précieux. Le critère de distinction entre les arts est variable entre les auteurs : la liberté d’écriture (critère cité le plus fréquent), le rythme, le découpage narratif, etc.

Prenons le témoignage d’Enki Bilal :

Bilal, auteur célèbre de bandes dessinées, a goûté au cinéma à plusieurs reprises, avec la réalisation des films Bunker Palace, Tykho Moon, Roméo et Juliette. « Il y a plus de liberté en BD. Déjà parce que c’est un média plus léger. Pas de problème de financement. Il y a aussi quelque chose de magique dans la BD. Appartenant au domaine du livre et de l’édition, la BD a une multitude de vies possibles. Le rapport au livre est toujours une histoire individuelle. Le rapport au film est différent. On est dans une salle, la lumière s’éteint et on part dans un tunnel. On suit le rythme narratif imposé par le metteur en scène. Tout le monde voit la même chose. Une BD, c’est beaucoup plus mystérieux. Les blancs entre les cases, chacun y fait ce qu’il veut, fait son montage. On peut revenir en arrière, réfléchir. C’est Resnais (un metteur en scène renommé, par ailleurs féru de BD) qui dit que quand il est fatigué, il lit un roman et quand il est en forme, il lit une BD ». Bilal a une analyse intéressante du problème des dialogues en BD et au cinéma. « Le travail sur les dialogues n’est pas du tout le même. L’écriture bande dessinée est une écriture artificielle. On peut faire passer un maximum d’informations dans des phrases serrées, concises, informatives. Je crois qu’il est plus facile d’être dialoguiste de bandes dessinées. On a un contrôle permanent sur l’histoire, on sait toujours que l’on peut rajouter un mot, un élément qui va préciser (…). Avec un dialogue de cinéma, il faut obligatoirement penser au rythme de la scène. Le rythme s’obtient en deux temps. Par l’écriture d’abord, puis par le jeu des acteurs. Il faut penser à çà, à la présence de l’acteur à l’image ». Interrogé sur la mise en scène, Enki Bilal répondait que le plus important c’est « le choix, savoir ce que l’on veut vraiment faire. (Au cinéma) il ne faut surtout pas se perdre dans des hésitations, dans des changements d’idées, d’axe. Là, oui, çà rejoint la bande dessinée, parce qu’on y fait aussi constamment des choix. Chaque case est un choix. De cadre, de narration, un choix d’ellipses".

L’auteur compare la BD ensuite au théâtre. Comparaison moins intuitive et moins objective.  

« Si la bande dessinée américaine actuelle et les mangas sont très cinéma, la BD franco-belge est comparativement plus théâtrale. Il suffit de regarder les cadrages d’Uderzo (Astérix), les dialogues de Tardi (Adèle), les décors de Forest (La Jonque fantôme), les déclamations du chat de Geluck (Le chat) pour y reconnaître un petit air de représentation théâtrale ».

Plus originale encore est le point de vue qui consiste à comparer la BD à la comédie musicale :


« Gilles Ciment, un critique expert en BD et en cinéma, a développé une théorie originale. Pour lui, les meilleures transpositions de BD vers le cinéma sont celles qui adoptent le genre comédie musicale, comme l’adaptation de Popeye ou de Little Némo. C'est aussi le cas de l'adaptation de Tintin faite en vraie comédie musicale. »


Curieusement l'auteur ne parle pas du lien avec la photo... Or c'est ce lien qui va nous occuper.

Pourquoi nous intéresser plus particulièrement à la photo quand on s'intéresse à la BD de reportage ?


II - planches  :  Tintin non fictif dans les camps en Allemagne, Tintin non fictif dans les camps de Bosnie... 

Le Photographe de Guibert, Lefèvre, Lemercier avait une particularité. Il intégrait la photo dans les planches, ce qui donnait lieu à un jeu de dialogue entre les deux médiums, entre les deux techniques, qui parfois tournait à un jeu de miroir vertigineux.

Le rapport entre le dessin et la photo est d'une autre nature dans les deux albums suivants.

1°Aurélien Ducoudray, François Ravard, Clichés de Bosnie, Futuropolis, 2013.

Beaucoup de points communs : un photographe Aurélien Ducoudray raconte comment il a accompagné un voyage humanitaire en Bosnie en 2002 et comment il en a ramené une série de photos pour un petit journal régional qui n'a consacré au reportage qu'une minable double page. Dix ans plus tard, le photographe rencontre le dessinateur François Ravard, et de cette rencontre
est née une histoire qui transforme l'échec de la publication du reportage en une BD-reportage savoureuse et fort riche. C'est à peu près le même scénario que pour le Photographe. Lefèvre, photo reporter tire de son voyage en Afghanistan, une série de clichés qui vont illustrer une double-page dans Libération : l'écart entre l'expérience étalée sur plusieurs années et la publication furtive dans un quotidien crée un cadre dramatique hors norme. L'institution du journalisme ne reconnaît plus le travail du grand reporter, celui-ci trouve une autre voie d'expression et de publication. 

Le traitement de la photo à l'intérieur de la BD est très différente. Les photos sont reléguées dans un album en fin de volume qui feront écho rétrospectivement à l'histoire racontée comme pour en attester la véracité. 

Cependant la réflexion sur l'exercice de la photographie de reportage reste au coeur de l'histoire. Ces quelques planches en témoigne. À commenter :









2° Morvan, Savoïa, Cartier-Bresson, Allemagne 1945, Dupuis, 2016.

Cette album n'est pas à proprement parler une BD reportage mais plutôt un récit historique biographique (ce qui est un genre plus ancien). Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un effort de reconstitution réaliste d'un épisode de la vie réelle d'un photographe. C'est une BD dit de "non-fiction", une biographie, non une autobiographie - ce qui change a bien des égard du format proposé par les tenants actuels de la BD de reportage.

Elle met également en scène un photographe. Un Tintin non-fictif.

Réflexion distincte sur la photo. Serait-ce lié peut-être au fait que l'un des plus grands photos-reporter avec Robert Capa a consacré la dernière partie de sa vie à dessiner.





- Même dispositif pour les deux albums : un dossier de photos en fin de volume. Quelle différence avec le Photographe

- On peut voir ces dispositifs comme une volonté de justification et légitimation du dessin par rapport à la photo : le dessin en effet pour la première fois dans l'histoire du photo-reportage vient concurrencer la photo sur son terrain. Les photos ont pour effet de valider l'épreuve du réel. Et de confronter les deux modes de représentations en concurrence. Voilà ce que fait le dessin. Voilà ce que fait la photo. Jugez sur pièce. 

- ou bien et c'est peut-être comme ça qu'il faut d'abord lire chaque album, c'est deux médiums sont très complémentaires et la BD de reportage doit s'appuyer alternativement sur les deux à la fois. De ce point de vue, seul le Photographe de Guibert, Lefèvre et Le Mercier parvient à fusionner les deux. Les autres dressent une frontière formelle et symbolique infranchissable. Quand la photo apparaît dans la narration, cette photo est dessinée. 

cours du 20 septembre


III - La BD de reportage raconté à la radio : 

À l'occasion du 39 festival d'Angoulême, Guy de Lisle (Chroniques de Jerusalem) et Joe Sacco (Reportages) sont invité à s'exprimer sur leur pratique au micro de l'émission "la grande table".

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/exposer-la-bande-dessinee-la-bd-reportage-un-genre-qui-explose

La première partie de l'émission est consacrée au statut de 9 ème art et renvoie à la problématique soulevée la semaine dernière. La plupart des intervenant considère qu'une planche n'est pas destinée à "tenir le mur" et qu'elle n'est pas faite, sauf exception pour entrer dans un musée ou être l'objet d'une exposition. Le succès de la BD provoque parfois des réactions perverses de la part des dessinateurs qui pour certains habitués aux outils numériques font se forcer à travailler sur le papier pour obtenir des originaux susceptibles d'étre exposés...

La seconde partie est consacrée à la BD de reportage. Guy de Lisle raconte qu'il est plus facile de dessiner que de photographier dans des conditions difficiles. Le dessin étant souvent perçu même dans des camps de réfugié comme sympathique à l'inverse de la photo qui est souvent perçu comme agressive.

Joe Sacco raconte qu'il prend beaucoup de photos quant à lui qui vont lui servir de matériaux, de référents, parce qu'il n'a pas le temps sauf exception de faire des beaux croquis d'après nature.


IV -  Sur le rapport entre photo-reportage et BD, voici une variante intéressante :  

http://www.lemonde.fr/bande-dessinee/visuel/2017/04/01/la-fissure-une-bande-dessinee-pour-raconter-la-detresse-des-migrants_5104200_4420272.html#/chapters/01/pages/2



V - Exercice pratique :

1) Tirer le portrait de votre voisin avec votre appareil photo.
2) À partir de son image, cherchez ensuite à styliser ces traits dans une case.
3) Dans une deuxième case : mettez votre personnage en mouvement.


Matériel (économie de moyen mais économie tout de même) : calculons notre budget.

- 4 crayons 2B Faber Castel :
- 4 stylos indélébiles
- 4 petite-boite d'aquarelle Winston & Newton.
Petite histoire des aquarellistes anglais... ce n'est pas sans rapport avec notre cours.
- 4 pinceaux moyens (毛筆)
- 4 carnets avec papier pour aquarelle : grain fin, format inférieur à A3.

Retour sur l'exercice précédent & commentaires