dimanche 13 septembre 2015

cours n°1 lire le monde

Laurence Marcout, journaliste à  Taiwan Aujourd'hui, 
interviewée par  Valentin Chu et Tiffany Xue (Photo Hubert Kilian, Taipei, 2010)

Voici un calendrier indicatif du déroulement du semestre. Le contenu du cours évoluera en fonction du suivi des interviews et de la préparation des documentaires.  

Calendrier du premier semestre
Journalistes sémiologues

17 septembre. Cours n°1 – Lire le monde. Une autre manière de voir le monde. Principes de la littérature appliquée. Le projet sémiologique. Présentation de L’Empire des signes. Côté pratique : Présentation de l’enregistreur. Devinettes sonores. Propositions de 10 sujets.
24 septembre. Cours n°2 – Empire des signes. Chapitre Haïku « l’effraction du sens ». p. 93-98.) Côté pratique : Interviews et 5 w et +. Fiche « un bon interview ». Préparation première entretien. Exercices : haïkus sonores.
1 er octobre. Cours n°3 – Barthes et la presse I. Déterminer un sujet. Plaisir : point commun entre Barthes (Plaisir du texte) et le journalisme (obsession du lectorat)… Côté pratique : création d’un jingle. Interviews à 中央.  Calendrier des travaux.  Fiche : la recherche documentaire.
8 octobre. Cours n°4 – Barthes et la presse II. « L’affaire Dominici » Dans les Mythologies. Métalangage et stéréotype. Cf. H. Merlin-Kajman. Côté pratique : Interviews et micro-trottoir. Prise de contact. Le conducteur radio. Fiche : monter une émission de radio.
15 octobre. Cours n° 5 – Les formats radio et le rapport à l'information. La diversité des styles. Style noble, style populaire. Présentation de nos partenaires. Extraits. Côté pratique : décomposition du documentaire. Première interview. 
22 octobre. Cours n°6 – L’écriture radiophonique. La doxa. Quelques manuels à destination des néophytes. Introduction au journalisme littéraire. Côté pratique : Interviews extérieures. Conducteurs radio.
29 octobre. Cours n°7. Angles d’approche et problématique. Les stratégies du journaliste et les lignes éditoriales. Accueil d’Hubert Kilian. "Taiwan aujourd’hui. RTI. Asialyst : la ligne éditoriale et la liberté du journaliste" Côté pratique : Interview de Hubert Kilian.
5 novembre. Cours n°8 : absence. Conférence à Louvain. Évaluation. Côté pratique : exercices sur les documentaires. Jingles et génériques.
12 novembre. Cours n°9 : Sémiologie et métalangage. L’Actualité : l’info et l’analyse. Côté pratique : réflexion critique sur l’angle des documentaires.
19 novembre Cours n°10 : Le sens implicite. La stratégie du journaliste et la recherche de l’info. Côté pratique : Faire dire ce que l’on ne veut pas dire.
26 novembre Cours n°11. Les critiques de l'oeuvre de R. Barthes I. Barthes en question. Poulet (polémique autour de la « nouvelle critique »). Kajman (critique de l’emprise idéologique). Côté pratique : travail du documentaire. L’écriture fine du conducteur. Les transitions. 
3 décembre Cours n° 12. Les critiques de l'oeuvre de R. Barthes II. Barthes en question. Pavel (critique du paradigme linguistique). Ruth Amossy (Critique de l’usage des stéréotypes). Côté pratique : travail sur les documentaires. La dynamique.
10 décembre Cours n° 13. La réception de R. Barthes (à Taiwan et en Chine).
Côté pratique : Accueil et interview de Guillaume Chiang. Reportage possible. Un patron de café à Chiayi, passionné de Barthes.
17 décembre Cours n° 14. Le journalisme littéraire. Le renouveau du journalisme. Côté pratique : le travail de montage.
24 décembre Cours n° 15. L’écriture littéraire à la radio : le documentaire.
Côté pratique : premier documentaire, écoute et correction. Le retour des partenaires. 
7 janvier Cours n° 16 : L’écriture littéraire à la radio : le style littéraire oral.
Côté pratique : lecture. Documentaire suivant.   
14 janvier Cours n° 17 : Lecture et articulation. Côté pratique : lecture.
21 janvier Cours n° 18 Bilan. Présentation du second semestre. De la sémiologie à la médiologie. Côté pratique : séance d’écoute des travaux.
Second semestre : Brève histoire de la radio. Radio et démocratie. Radios libres. Le cas de Taiwan. Crise du journalisme et  le journalisme littéraire et le grand reportage. L’approche médiologique. La technologie de la radio. Changement de support. Le journalisme littéraire. Bd reportage.


Commençons par définir les termes de ce cours : « littérature appliquée », « initiation aux métiers »,  « journalisme », « radio ».

 « littérature appliquée » :

Le concept du cours de « littérature appliquée » est un concept qui correspond aux principes sémiologiques que Roland Barthes (1915-1980) a contribué à forger. En s’inspirant de la linguistique, la sémiologie présuppose que le monde est construit selon des systèmes de signes et que par conséquent, il est possible de lire le monde comme on lit un texte littéraire. Profitons du centenaire de sa naissance pour approfondir cette conception du monde.

La sémiologie serait donc l’étude de l’ensemble des systèmes de signes dont la linguistique ne serait qu’une branche. La langue est un système de signes complexes. Mais il existe une infinité d’autres systèmes de signes (ou langages) plus simples à analyser : tels que le vêtement (cf. le Système de la mode), la nourriture (le système alimentaire), la voiture (le système automobile), etc. Il faudra donc au moment de penser nos documentaires, replacer nos sujets dans le cadre d’un système. Un système est un ensemble d’éléments qui se combinent et se définissent chacun par rapport à l’autre. Le premier système qui sert de modèle à tous les autres, est le système linguistique. 

Ainsi à propos de la distinction saussurienne entre Langue et Parole : « L’aspect combinatoire de la Parole est évidemment capital, car il implique que la Parole est constituée par le retour de signes identiques : c’est parce que les signes se répètent d’un discours à l’autre et dans un même discours (quoique combinés selon la diversité infinie des paroles) que chaque signe devient un élément de la Langue ; et c’est parce que la Parole est essentiellement une combinatoire qu’elle correspond à un acte individuel et non à une création pure. » (L’Aventure sémiologique, Introduction publiée dans le Monde le 7 juin 1974, Paris Seuil, 1985. p. 13) La parole « peut être définie, outre les amplitudes de phonation, comme une combinaison (variée) de signes (récurrents) » (idem. p. 24).


La sémiologie s’inspire en grande partie de la linguistique (celle de Saussure en particulier) dont l’essor entraine une révolution dans les champs des sciences humaines créant ainsi un paradigme linguistique. Le structuralisme (de Lévi Strauss Cf. Anthropologie structurale) est directement une émanation de la linguistique. Celle-ci a également influencé la psychanalyse (pour Lacan, l’inconscient est construit comme un langage), la sociologie (Erwin Goffman et ses systèmes d’interactions), etc.  Bref la linguistique a largement débordé le cadre de sa discipline en créant une sorte de révolution.

Nous allons donc nous initier à cette méthode. Il ne s’agira que d’une sensibilisation car le simple cadre de ce cours est insuffisant pour un approfondissement de cette théorie. La sémiologie est une pratique fastidieuse (à vocation scientifique) et qui comporte dans le détail certains écueils dont nous reparlerons. Nous choisirons plutôt la souplesse et le ludisme.

Premier semestre: nous allons lire deux ouvrages parmi les plus simples mais les plus éclairants et les plus faciles d’accès. Ils ont le mérite d’avoir été traduits et nous aurons l’occasion d’en discuter avec deux de ces traducteurs ( 綺玲 et江灝 alias Guillaume Chiang : Mythologies et L’Empire des signes. Un. Vous pourrez donc vous y reporter facilement. Deux. Ils sont relativement simples. Trois. Ils contiennent une méthode que l’on peut reproduire. Quatre : ils encadrent la production de R. Barthes et permettent de distinguer les invariants de sa pensée. Hormis ces deux textes, je ferai régulièrement référence aux autres textes de Roland Barthes.

            Je voudrais commencer par vous lire un texte qui évoque l’idée de « monde comme système de signes ».

Barthes écrit dans L’Aventure sémiologique : « le texte excède l’ancienne œuvre littéraire ; il y a par exemple, un Texte de la Vie, dans lequel j’ai essayé d’entrer par l’écriture à propos du Japon ». (L’Aventure sémiologique, Introduction publiée dans le Monde le 7 juin 1974, Paris Seuil, 1985. p. 13)

Voir le Système de la mode,  concept de « syntaxe de la description » et Chantal Thomas, Pour Roland Barthes, Paris, Seuil, 2015, p. 65


Voyons donc le premier chapitre de L’Empire des signes.








2 ° « initiation aux métiers » : Le terme d’initiation auquel j’ai fait référence tout à l’heure prend tout son sens à la lecture de ces textes. L’initiation est précisément la découverte que le savoir universitaire (univers: unus et versus) s’ouvre sur le monde et qu’il peut servir à lire le monde (en tant que système de signes) à mieux le comprendre (l’analyser). Un. Contrairement à certaines idées reçues selon lesquelles l’université est coupée du monde (et donc est une perte de temps), ce savoir-là peut être une plus-value sur un plan professionnel.  Deux. Vous pourrez également vous "faire la main" et pour les plus motivés faire des stages pour vous en convaincre (Pour ce faire nous allons travailler avec un certain nombre de partenaires que je vais vous présenter : Pinewave, BFT et RCP notamment. Asialyst par ailleurs. Tel est le programme contenu dans la notion de « littérature appliquée ».


À chacun de nos partenaires, nous allons proposer des reportages radio qui prendront des formats distincts. En échange, ceux-ci diffuseront et accueilleront éventuellement les étudiants en stage. 


Formats radiophoniques
Partenaire
Supports de diffusion





Sujets de reportages à déterminer

Très courts 
Ex : « haïkus sonores »
1 à 2 mn.

Radio Campus Paris
(Radio FM)

Asialyst (website)


Courts 
Ex : « marque-page »
3 à 5 mn.

Asialyst (website)

BFT (website)


Intermédiaire
« Portraits ».
5 mn à 20mn



BFT (website)

« Documentaires »
30 mn à 1h.
Radio Campus Paris
 (Radio FM)

Pinewave (web-radio de NCU)




3 °  le « journalisme » en général et la « radio » en particulier   :

Cette logique de la « lecture du monde comme vaste système de signes » ne se confond pas avec le journalisme. Loin s’en faut. Ce qui caractérise la démarche de Barthes et avec lui, celle des sémiologues (Umberto Eco, Klinckenberg, et consorts), c’est un principe de distanciation critique. Roland Barthes ne cesse de faire référence à la presse. Dans les Mythologies, Roland Barthes fait du journalisme au second degré. Son discours sur le journalisme est un métalangage (un discours sur le discours). Il n’empêche : ce métalangage est une matière à réflexion et analyse qui peut s’intégrer au journalisme. Ce que nous allons montrer via l’outil radiophonique.

Même si nous n’allons pas pousser l’analyse aussi loin que R. Barthes, nous chercherons à garder cette distance critique en utilisant une méthode sémiologique simplifiée. D’où une série de sujets plutôt « cool » (quelques sujets « hard »). Choisissez un sujet dans le tableau et proposez ensuite votre propre sujet.

Listes non exhaustives de sujets possibles
Interlocuteurs/ spécialistes/
référents
Système-cadre
Ouvrages de références et documents à compléter
1.     L’essor de la psychanalyse à Taiwan
Nancy

Wang Hao-wei (王浩威)

Système de l’inconscient
François Jullien, Cinq concepts proposés à la psychanalyse, Paris, Grasset, 2013.

Articles de presse. 
2.     La peine de mort à Taiwan
Le metteur en scène Chen Yi-wen adapte les Derniers jours d’un condamné au Thinkers’ theater du 8 au 11 octobre.

Sarah Wandy, diplomate spécialiste des Droits de l’homme (BFT)
Système pénal
Victor Hugo, Les Derniers jours d’un condamné, 1829.
Camus, Réflexions sur la peine capitale.
Badinter, L’Abolition.
Article sur la peine de mort à Taiwan.
3.     Le jongleur de 華山et les arts de la rue à Taiwan
Valentin Le Chat
Système des métiers du spectacle
Frédéric Durand, À l’école du cirque, Éditions L’Entretemps, 2005.
4.     Réception de la cuisine africaine à Taiwan
Chef cuisinier togolais de天母
Système de l’alimentaire
Jean-Pierre Poulain, Sociologies de l’alimentation, Paris, P.U.F

5.     Le phénomène des Urban Sketchers à Taiwan.
Carton Shen, président de l’association des Urban sketchers
Système de l’urbanisme
Urban sketchers, ?

Le sens de la ville.

Barthes, « Sémiologie et urbanisme » in L’aventure Sémiologique. Paris, Seuil, 1967, p. 261-271.

6.     La mode taïwanaise
Tsai Shu-ling

Sophie Hong
Système de la mode
Gilles Lipovetsky L'Empire de l'éphémère. La mode et ses destins dans les sociétés modernes.. Paris, Gallimard, 1987.
Roland Barthes, Le Système de la mode, Paris, Seuil, 1967
7.     Les élections présidentielles et le bestiaire politique
Frank Muyard, sociologue et sinologue (NCU)
Système des élections
Roland Barthes, Les Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
Jacinta Ho Kang-mei et Pierre Mallet, Lee Teng-hui et la « révolution tranquille » de Taïwan, L'Harmattan 2005.
8.     La scène rock à Taiwan
小雞, bassiste du groupe de rock, 那我懂你的意思了

Jean-François Danis, conseiller au ministère de la culture.
Système de la culture musicale
Jean Molino, Le singe musicien. Sémiologie et anthropologie de la musique, Paris, Actes Sud / INA, 2009.
9.     La pêche traditionnelle à Taiwan
飛魚, artiste et pêcheur de Lan-yu.
Système d’exploitation de la pêche
Articles de presse
10.   Le paradoxe de 金門
Pr. Wang Chen-Sheng
Système de l’urbanisme
Articles de presse
11.   Le renouveau de la gravure à Taiwan
Artiste et pr. 陳華俊
Artiste et pr. 廖修平 
Système du marché de l’art
Brochure, The Marks of time,
The Printmaking Society of Taiwan.
12.   Autres




La radio n’est un pas un média (un medium pourrait-on dire) étranger à Roland Barthes. Un. Il a lui-même participé à des émissions de radio. Deux. Il est particulièrement sensible à la matérialité de la voix (phonologie) et des sons.

D’une part, parce que la langue repose sur un principe de double articulation :

« Depuis Saussure, la théorie du signe linguistique s’est enrichie du principe de la double articulation, dont Martinet a montré l’importance, au point d’en faire le critère définitionnel du langage : parmi les signes linguistiques, il faut en effet séparer les unités significatives,  dont chacune est douée d’un sens (les « mots » ou plus exactement, les « monèmes ») et qui forment la première articulation, des unités distinctives, qui participent à la forme mais n’ont pas directement un sens (les « sons » ou plutôt les « phonèmes »), et qui constituent la seconde articulation : c’est la double articulation qui rend compte de l’économie du langage humain ; elle constitue en effet une sorte de démultiplication puissante qui fait, par exemple, que l’Espagnol d’Amérique, avec seulement vingt et une unités distinctives, peut produire cent mille unités significatives ». (L’Aventure sémiologique, Introduction publiée dans le Monde le 7 juin 1974, Paris Seuil, 1985. p. 39)

Chantal Thomas dans Pour Roland Barthes rappelle à quel point son « maître » était sensible à la matérialité de la langue française. Celui-ci affirmait dans un entretien : « Si l’on perd le contact avec le phonétisme de sa langue, la musique de sa langue, on détruit le rapport entre le corps et la langue ». Elle ajoute à propos de l’extraordinaire présence de sa voix : « La diction de Roland Barthes était claire, calme, mélodieuse. Elle ne semblait jamais bousculée par l’urgence d’un quelque chose à dire, ni par la frénésie d’un affrontement. Comme le chant, elle rendait audible le silence dont elle se détachait. Ce en quoi la voix de Roland Barthes était davantage propre aux monologues, aux pauses réflexives ou rêveuses qu’à la fébrilité du débat, où il s’agit de ne jamais laisser inoccupée une seconde de silence.  Ce n’était en rien une voix journalistique, ni même d’actualité ».  Chantal Thomas, Pour Roland Barthes, Paris, Seuil, 2015, p. 27


Curieux décrochage avec le modèle du journaliste radio. Ce qui est visé ici par Chantal Thomas, c’est moins le journaliste radio, en tant que tel, que l’animateur radio qui a pour ennemi le silence. Un documentariste radio saura utiliser les silences et sera sensible également à la matérialité de la voix et du son.


4 ° Pratique : banque de son et bruissement de la langue 


Petits exercices ludiques : devinettes sonores.


  Écoutez les bruits suivants et identifiez-les. Ces bruits deviendront des sons dès lors que vous les aurez identifiés. Pourquoi ? (Réponse : les sons sont des signes auditifs)

- Travail pour la semaine prochaine.

A - Déterminer les sujets sur lesquels vous voulez travailler.


B - Manipuler les enregistreurs (Zoom H6) pour vous familiariser avec le matériel. À vous de recueillir des sons pertinents (significatifs), clairs (relativement isolés),  propres au montage. Soyez vigilant. Prenez garde au vent (parasite) et au « pop » (saturation). Soyez au plus près de la source. Consultez le Vu-mètre (Volum Units meter).

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