Nous avons rencontré à plusieurs reprises dans les textes théoriques que nous avons lus, des références à
Maus d'Art Spiegelman, comme un ouvrage fondateur pour l'avénement du roman graphique et le mouvement plus spécifique des "BD du réel" comprenant la BD de reportage.
Profitons-en pour faire le lien avec d'autres auteurs qui se sont confrontés à la représentation de la guerre et de la violence extrême. C'est le cas à des niveaux divers de Jean-Philippe Stassen pour le génocide des Tutsis au Rwanda dans
Deogratias ou de Li-Chin Lin pour la terreur blanche dans
Formose.
I - Texte théorique :
Lucie Servin, "La mémoire de la Shoah et sa représentation en BD", Le sacre de la bande dessinée, in Le Débat, n° 195, Paris, Gallimard, mai-août 2017, p. 188-198.
Il existe un "rôle mémorielle de la bande dessinée" comme en témoigne la l'exposition « Shoah et bande dessinée » (30 octobre 2017).
p. 188 :
« Le devoir de mémoire s'oppose à la simplification » : ce pourrait être un reproche fait à la bande dessinée qui « joue avec l'élaboration dans l'inconscient collectif d'archétypes sur l'horreur concentrationnaire et l'industrie exterminatoire de la déportation ».
p. 188-9 :
« Langage visuel, matériel de propagande, la bande dessinée a également le pouvoir d'incarner les destinées et d'humaniser des trajectoires individuelles. » : Maus de Spiegelman aurait cette vertu. Prix Pulitzer. révolution dans l'histoire du 9 art, « au-delà de l'exemplarité du témoignage sur le syndrome de la deuxième génération, à savoir la transmission du traumatisme chez les descendants des déportés. »
Le dessin comme témoin
p. 189 :
«les images manquent pour visualiser l'horreur concentrationnaire, du fait même de l'acharnement des nazis à supprimer les preuves les plus atroces de l'extermination et de la solution finale. » : La nécessité de la reconstitution s'impose. Quelques clichés clandestins. Le témoignage oculaire est mise en scène dans
Maus.
p. 189 : le philosophe Georges Didi-Huberman rappelle qu'il faut
« malgré la destruction, l'effacement de toute chose, il faut savoir regarder comme regarde un archéologue. » : le travail du dessinateur est peut-être celui de l'archéologue. N'est-ce pas ce que suggère Davodeau dans
Rural quand il met en scène les archéologues préparant leur fouille ?
p. 189 :
« Plus que la photographie, les dessins ont servi de premier support aux témoignages des déportés, dont certains à l'intérieur des camps ont risqué leur vie pour représenter clandestinement les persécutions du quotidien. » : un exemple de «l'art concentrationnaire », Mieczyslaw Koscielniak, polonais non juif, déporté à Auschwitz en février 1941, parvient à sauver plus de 500 dessins qui décrivent le fonctionnement du camp.
Ces dessins ont inspiré Spiegleman. Cela signifie que la bande-dessinée n'est pas la simple transposition graphique d'un témoignage (puisqu'il est plus que la somme des dessins de Mieczyslaw Koscielniak).
190 : aussi Horst Rosenthal, Alfred Kantor, David Olère....
Tabou et amnésie
p. 190 : « Presque naturellement, la bande dessinée s'imposait comme un médium privilégié pour raconter l'horreur des camps. Le dessin pénètre de sa valeur subjective l'image de l'indicible, désignant l'horreur en suggérant, localisant ou contextualisant, dans la lignée de la vocation des carnets réalisés par les déportés.»
p. 190 : au début, les BD « destinées à exalter le patriotisme et à dénoncer la barbarie nazie dans son ensemble, sans véritablement rendre compte du génocide juif ». « les superhéros, dont les premiers sont nés à la fin des années 30, s'opposent déjà Führer. »
p. 191 :
La bête est morte est une exception. «il faudra plusieurs décennies avant que l'on comprenne ce qui s'est produit et que la spécificité du sort des juifs apparaisse clairement. » (Annette Wieviorka)
p. 192 : la déportation reste tabou pendant longtemps. la Bd intègre tardivement l'histoire de la déportation.
Contre le négationnisme
Georges Wolinsky, un des dessinateur satiriste de
Charlie Hebdo (2 novembre 1978) est un des premiers à entrer en lutte contre le négationnisme. Viennent ensuite Gébé, Cabu, Vuillemin, poursuivent le travail de satire.
p. 192 "En s'autorisant des thèmes aussi sérieux que la Shoah, les dessinateurs brisent un tabou et heurtent la bien séance qui voudraient que les dessins soient réservés aux enfants et que la Shoah restent hors de portée de la caricature"
Petite objection à cette analyse : la caricature de presse qui a une longue tradition ne s'est jamais adressé aux enfants.
p. 194 : "Au Japon, Osamu Tezuka, sacré dans son pays le "Dieu des manga", écrit
L'Histoire des trois Adolf, en être 1983 et 1985, le seul manga à traiter le thème de la Shoah.
Aux États-Unis, Chris Claremont avec les
X-men, Will Eisner avec
Le Protocole des Sages de Sion ou Joe Kubert avec Yossel (2003) retravaillent la matière mémorielle de la Shoah.
La révolution Mauss
p. 194-5 : "C'est la première fois que la bande dessinée aborde de façon réaliste la tragédie de la Shoah, dans un récit non fiction qui , même s'il montre des souris et des chats, revendique haut et fort sa valeur historique, tout en affirmant la nécessité formelle de la bande dessinée"
p. 195-6 : Vingt ans pour réaliser ce chef d'oeuvre : "à la fois oeuvre de mémoire et oeuvre d'art, cette bande dessinée marque un tournant dans l'histoire de la représentation de la Shoah que dans l'histoire de la bande dessinée".
Le roman graphique est par définition autant dessin qu'écriture au point que Spiegelman définisse une planche comme un "paragraphe visuel"
"
Maus n'est pas simplement le récit reconstitué d'un déporté à Auschwitz transposé dans un métaphore animalière. Le témoignage de la relation compliquée entre le père et le fils dédouble la temporalité et engage un dialogue du présent au passé possible uniquement par la mise en abîme des cases. Car le sujet de
Maus c'est la récupération de la mémoire et en fin de compte, la création de la mémoire".
La deuxième génération et les suivantes
D'autres auteurs ont fait ce travail de mémoire : Michel Kichka. Miriam Katin. Martin Lemelman. Jérémie Dres. Rutu Modan. Fanny Mickaëlis.
La bande dessinée du réel
p. 197 : Maus a contribué à l'essor d'un nouveau genre, la bande dessinée de reportage avec une "revendication journalistique très forte".
Le précédent donne "une méthode pour le devoir de mémoire" et contribue à l'émergence de la reconnaissance d''autres minorités persécutées comme celle des Tziganes dont Kkrist Mirror s'est fait le porte-parole, celui des Arméniens en Turquie, celui des Tutsis au Rwanda.
p. 198 :
Deogratias par Stassen "le Maus des Tutsis" qui évite "le voyeurisme de l'horreur par l'alternance de planches documentaires et de séquence métaphorisant les massacres par la représentation symbolique, comme la transformation du jeune bourreau hutu en chien enragé"
"À l'instar de
Maus, son oeuvre est une démonstration de ce qui ne peut se dire qu'en bande dessinée".
Entre sentimentalisme, voyeurisme et pédagogie
Holokitsch : le terme est employé par Art Spiegelman dans Métamaus et se définit comme le penchant sentimentaliste à traiter de la tragédie de la Shoah avec une tendance à la simplification, en opposant gentils et méchants"
Maus cherche à éviter l'écueil "la banalisation mélodramatique des souffrances de déportés", tout en mettant l'enfer en cases.
"La bande dessinée possède sans conteste la capacité d'incarner des personnages en ouvrant les cases comme des fenêtres sur les subjectivités."
Commentaires et questions :
- Quel est le point commun entre
Mickey au camp de Gurs,
La Bête est morte et Maus ? Et même
Deogratias ?
- Quels écueils la représentation de la Shoah en bande-dessinée peut-elle rencontrer ?
- Il serait bon de comparer certains style graphique de BD européennes et celui de 小莊 que vous avez considéré comme assez éloigné du style des mangas... Je pense notamment à certaines planches de la
Bêtes est morte et à certaines planches de
mes années 80 qui évoque la dictature (la vie sous la loi martiale). Par exemple :
II - Quelques planches à analyser :
III - Montage de l'interview précédent de Mei.
IV - Préparation de la séance suivante.
V - Stassen à la radio... le génocide en BD ?
http://www.rfi.fr/emission/20150129-i-comb-jesus-jean-philippe-stassen
Jean-Philippe Stassen définit la BD-reportage