mardi 17 octobre 2017

Cours n° 47 BD de reportage 5 la conquête de légitimité en toute humilité


 ”j’arrive là-bas, je ne connais rien”
Guy Delisle 



I - un mémoire de Lisa Aucquier 

« BD documentaire, Comment la BD média hautement subjectif gagne-t-elle sa légitimité dans le monde documentaire ? »

La problématique du mémoire de Lisa Aucquier lui sert de titre. Son mémoire est disponible à cette adresse : 

http://neuviemeart.citebd.org/IMG/pdf/auquier_lisa_ihecs_2014-2015_master2_ascep_article_la_bd_documentaire.pdf

Je relève quelques points qui peuvent nous intéresser. Je reviendrai ultérieurement sur d'autres aspects de ce mémoire.

Dans l'intro : 

p. 4 - "La frontière est mince, voire impossible à distinguer, entre la BD journalistique, la BD biographique ou encore la BD reportage. Mais nous pouvons les résumer comme une tentative de réunir, au fil des cases, le factuel d’un documentaire classique et la créativité du dessin".
même problème terminologique. 

p. 4 : "Keiji Nakazawa, qui racontait sa survie à la catastrophe nucléaire dans son manga Gen d’Hiroshima"

un auteur japonais. Le manga serait lui aussi concerné par la BD de reportage. 

p. 4 "Avec le monde de l’actualité, c’est aussi ceux de l’éducation et de la coopération qui s’intéressent à ce média. Ainsi, Médecins Sans Frontières a sorti en 2011 Out of Somalia, une bande dessinée réalisée par Andrea Caprez et Christoph Schuler qui illustre la survie dans un camp de réfugiés somaliens au Kenya". 

Des organismes plébiscitent la BD.

p. 5 "la BD documentaire s’offre comme un média alternatif à plusieurs points de vue. D’abord, par son apparence. Parcourue dans l’enfance, « la bande dessinée se présente comme un média d’accès facile, qui n’est ni impressionnant, ni inhibant pour le lecteur » (Bourdieu, 2012, p. 13). Ensuite, par ses thématiques. En effet, les processus de création et de publication d’une bande dessinée ne peuvent se conformer au modèle de l’information express de la presse actuelle, ainsi les sujets choisis doivent être pertinents sur le long terme (Daniels, 2010, 7’40’’)." 

- populaire et facile d'accès. 
- processus long évite l'info rapide

p. 7 "Néanmoins, des régularités traversent la plupart des BD documentaires ; la présence du narrateur-auteur, l’importance du métadiscours et la représentation de faits réels".

- la recherche de régularité : Parmi les régularités qu'il est naturel et nécessaire de rechercher quand on est face à un nouveau genre, il y la posture humanitaire. À la différence que Guy Delisle n'en présence que les coulisses. Il accompagne sa femme qui travaille dans une ONG. 

P. 9 Une définition générale mais imprécise et insuffisante : 

- "la définition émise en 1993 par l’auteur de BD, Scott McCloud, est considérée comme l’une de celles qui réalise la prouesse de recouvrir les différences stylistiques, spatiales et temporelles. Dans son livre L’art invisible8, il définit la bande dessinée comme « une forme d’expression constituée d’images picturales et autres, volontairement juxtaposées en séquences, destinée à transmettre des informations et/ou à provoquer une réaction esthétique chez le lecteur » (McCloud cité par Mouchart, 2004, p.5). Une définition qui inclut dans le monde de la BD aussi bien les hiéroglyphes égyptiens, la tapisserie de Bayeux que les aventures de Tintin, les mangas, ou les comics américains".

p. 10


Töpffer parlait de « littérature en estampes » dans les années 1830 et, quelques décennies plus tard, Caran d’Ache qualifiait son Maestro de « roman dessiné »... plus près de nous, le théoricien Harry Morgan préfère recourir aux termes de « littérature dessinée ». Le mérite de ces trois expressions est de donner une idée plus juste de ce que l’on doit considérer comme une forme narrative, sa principale fonction restant le récit avant toute chose, que celui-ci soit fictif ou non (2004, p. 5).
Mais aucun de ces termes ne supplante celui de bande dessinée. Une expression s’est malgré tout plus ancrée que les autres : celle de roman graphique. Celle-ci fût lancée par Richard Kyle en 1964 aux États-Unis « dans le but de neutraliser les connotations péjoratives du terme comics » (Argod, 2014, p.2). 


p. 10 - 11"BD documentaire, BD de reportage ou BD journalisme. Ces différentes appellations s’inscrivent dans le genre particulier de la BD du réel. Le scénariste français Sylvain Ricard définit la BD du réel comme « tout ce qui concerne des faits qui se sont réellement passés et qui sont traduits en dessin » (cité par Albert, 2013). Celle-ci peut se manifester à travers différents sous-genres, dont l’un d’eux serait la BD documentaire. Néanmoins, les séparations entre ces divers sous-genres ne sont pas toujours nettes. En
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anglais les termes désignant les BD documentaires varieront de Non-fiction Comics ou Graphic non-fiction novel ou comics journalism. Chacun de ces termes recouvrant une partie de la vérité et en omettant d’autres facettes. La notion de fiction historique, par exemple, est ignorée des termes anglophones Non-fiction Comics ou Graphic non-fiction novel.  

p. 12 :  BD documentaire : une définition. 

"la bande dessinée documentaire est une trace constituée d’images picturales et autres basées sur des documents, volontairement juxtaposées en séquences, destinées à transmettre la vision d’un auteur sur un élément du réel. En d’autres termes, c’est le discours subjectif d’un individu à un autre individu avec ce moyen qu’est la bande dessinée, c’est-à-dire une combinaison d’images et d’écrits."

p. 12 : le flou persiste

La limite entre documentaire et fiction et documentaire et reportage est tout aussi floue dans le domaine du neuvième art. Les Chroniques de Guy Delisle est une autobiographie proche du carnet de voyage. Saison Brune, de Philippe Squarzoni, est un essai écologique, tout en bulles. Plus inclassable encore, Quai d’Orsay, de Christophe Blain et Abel Lanzac, qui est une mise en récit, une fiction inspirée de l’expérience de Dominique de Villepin au siège de l’ONU et aux affaires étrangères (Brison, J. Gasnier, E. Mal, C, 2013).  

p. 13 : BD de reportage ou BD documentaire : 3 critères


1 - la BD de reportage est réalisée/dessinée par un journaliste
"Didier Mauro, cinéaste et sociologue des arts, distingue la position du créateur de documentaire qui est réalisé ou dessiné par un auteur, du reportage qui lui est réalisé ou dessiné par un journaliste (2013). De ce point de vue, il serait dès lors facile de scinder les œuvres documentaires des œuvres de reportage en bande dessinée. En fait, seul un journaliste est réellement présent dans le monde de la bande dessinée, le célèbre Joe Sacco. Le journaliste Jean-Christophe Ogier approfondit ce point de vue. Pour lui, les seules BD de reportage sont presque exclusivement celles de Joe Sacco. Joe Sacco regarde le monde comme un artisan à travers le filtre des techniques journalistiques acquises durant ses études. En fait, il applique simplement les principes du journalisme aux médias de la bande dessinée. Joe Sacco lui- même se désigne comme un journaliste aux mouvements lents (03 juin 2015). 


"Une définition à laquelle Joe Sacco correspond. Avec lui s’ajouteraient les nombreux reportages qui illustrent les revues d’actualités telles que 24h01, XXI ou encore la Revue Dessinée, qui ne sont pas tous réalisés par des journalistes, mais tous commandités par une entité journalistique et à qui s’applique cette même logique."

2 - La subjectivité assumée : 

"Il est difficile, voire impossible, de présenter une neutralité de point de vue avec ce média. Mais, cette subjectivité est largement assumée par les dessinateurs. L’une des principales preuves en est la quasi systématique représentation des auteurs dans leurs propres œuvres. Un témoignage de leur présence sur les lieux qui confirme que c’est bien leur vision, et leur point de vue des choses qui est exposé. Et qu’en tant qu’être présent, ils influent sur la réalité qu’ils observent. Sous ce point de vue là, qu’advient-il de l’œuvre de Sacco, qui se dessine lui-même dans son œuvre, qui assume et promeut la subjectivité de ses BD ?
3 - La BD documentaire suppose un travail de création qui s'inscrit dans la longue durée.  


P. 15-6"Christopher Van Rossom, précise cette distinction.

Dans un documentaire de création, il y a un travail qui n’existe pas dans le reportage. Il y a un travail de découpage, de montage, de script, qui est absolument indispensable à penser en amont, pendant et éventuellement après. ... On a sélectionné et accumulé un certain nombre d’images et de bobines, il ne s’agit pas de les montrer brutes, il faut les monter, les organiser et les construire avec, ce qui est un point commun avec la fiction, un scénario. Un documentaire de création suppose un scénario, une vision, un regard, un point de vue de celui qui a non seulement filmé, mais qui les commente, les illustre. Toutes ces dimensions montrent qu’on a affaire à un travail de création. Ce dont ne se soucie pas le reportage, qui a pour fonction de montrer de manière ponctuelle, sans aucun artifice, un témoignage brut (2015).

Il poursuit en s’intéressant à la notion de temps.

Le reportage journalistique est dans une logique de court terme, il s’agit de réagir vite sur quelque chose qui survient. C’est filmé très vite, monté assez vite. ... le documentaire c’est quelque chose qui s’inscrit dans une durée plus longue, un travail à plus long terme avec du recul, la conception d’une stratégie d’appréhension de la réalité qui est plus large, qui n’est pas subordonnée à un objectif qui est d’informer (2015).

Cette construction, cette réflexion et ces choix sont un passage obligé pour tout dessinateur de bande dessinée."  



puis analyse de Guy Delisle

II - 3 volumes de Guy Delisle :

p. 40-1 : Guy Delisle est né en 1966 à Québec. Il étudie l’art plastique et l’animation. Il entame sa carrière dans le dessin animé en travaillant pour divers studios au Canada, en Europe, mais aussi en Asie. Il réalisera plusieurs courts-métrages, et participera à la production de nombreuses séries télévisées. Il n’abandonne pas pour autant ses crayons. En marge, il publiera à l’Association Réflexion en 1996 et Aline et les autres en 1999, des bandes dessinées expérimentales. Envoyé dans un nouveau studio à l’étranger, c’est en 2000, après un voyage en Chine, qu’il rédige sa première bande dessinée autobiographique:
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Shenzhen. Entre carnet de voyage et chronique, il y relate son quotidien sur un ton faussement naïf et humoristique. Il repartira à l’étranger pour travailler en Corée du Nord. S’en suivra, en 2002, Pyongyang. Un beau succès. L’apparente innocence du dessin lui garantit une plus grande liberté dans le pays qui censure d’autres médias plus traditionnels. En 2007, utilisant la même recette, il conte dans Chroniques Birmanes, son séjour à Rangoon. L’une des plus grandes différences avec ces deux précédents livres est qu’il est ici pour accompagner sa femme employée par MSF. Il y endosse le métier de père au foyer et découvre, accompagné de son fils, les particularités du pays. Avec grande efficacité, il mêle petites histoires du quotidien et la grande histoire du pays. En 2012, c’est son séjour à Jérusalem qu’il met en récit. Une année entière racontée dans un pavé de 330 pages ! Une œuvre récompensée au Festival d’Angoulême en 2012 par le Fauve d’or : prix du meilleur album. Une belle consécration de son travail (Documentation de Radio-France, 2012). 

1 - Pyongyang, 2003

2 - Chroniques Birmanes, 2007

3 - Chroniques  de Jerusalem, 2011

p. 42 : simplicité des formes, naïveté du regard.
p. 43 : plus la ligne est claire, plus il est facile de l'animer.
p. 44 : simple mais efficace.

p. 45 :

À Jérusalem, il endosse le rôle de père au foyer tiraillé entre l’emploi du temps de sa femme, de ses enfants et la réalisation de ses croquis.


Le jour, il croque l’architecture de la ville sur son carnet. Son regard, lui, avale le quotidien, les habitants, la ville, qu’il présentera par la suite dans sa BD. «Tout le talent de ce dessinateur-voyageur tient dans cette attention constante aux détails qui échappent d’ordinaire aux touristes, mais qui en disent long sur le pays visité et affectent durablement le regard du lecteur » (Baptiste, 2008, p. 166).

Delisle est un expatrié, presque ordinaire, au regard aiguisé, muni d’une arme redoutablement efficace : la dérision. En effet, l’une des qualités du récit est sa légèreté. Pourtant, sous ses airs faussement naïfs, l’auteur est loin d’être ignorant. 

p. 46  :

Et ce qu’il voit, c’est l’absurde. Un mot qui reviendra dans la bouche de nombreux lecteurs. L’absurdité du conflit, l’absurdité de la religion, l’absurdité de la politique. L’absurdité pour cet athée convaincu plongé dans ce haut lieu saint où confluent 3 religions importantes, l’absurdité des frontières pour ce globe-trotter invétéré, l’absurdité des médias, l’absurdité du transport, l’absurdité du quotidien. 



III - Radio : Guy Delisle à France-Culture

Sur Chroniques de Jerusalem :
https://www.franceculture.fr/emissions/un-autre-jour-est-possible/chroniques-de-jerusalem


IV - Travaux pratiques : Compliquons un peu les choses en introduisant deux nouvelles contraintes:

- Une planche avec une photo intégrée à la manière de Guibert ou Hippolyte (possibilité de recourir plus généralement au collage)

- Déterminer un sujet plus précis propice à fair une histoire... (ex : personnes qui se masse sur les arbres...)



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