mardi 27 septembre 2016

Cours n° 32 Les inséparables. Histoire fusionnelle du journalisme et de la littérature au XIX

"Si la presse n'existait pas, il faudrait ne pas l'inventer", 
Balzac, Les Journalistes, Monographies de la presse parisienne, Arléa, 1998, p. 19


Le motif du lecteur de journaux, et du Charivari en particulier, est fréquent chez Daumier. Il est utilisé ici comme prétexte commercial pour inciter le lectorat à se réabonner, avec cet avis clairement lisible : "Avis / Ceux de M. M. nos souscripteurs dont l'abonnement finit le 1er avril sont priés de le renouveler s'ils ne veulent pas éprouver de retard dans l'envoi du journal." Ce clin d'œil à la vie du journal fait allusion au lien qui unit le lithographe au Charivari, son principal employeur, au rôle important qu'il y joue, en 1840, et y jouera encore pendant plus de trente ans.

Honoré Daumier

[- Oh elle est délicieuse... et plus bas... là... ici lisez donc
- Oh c'est un peu fort ?...
- Sapristi oui
- Et la gravure, l'homme a une tête soignée :
- Et la femme donc
- Ah lisez donc ce qui est dessous
- Oh Oh ! cette charge - j'achèterai ce numéro-là]

Détail de la planche n° 13 de la série Actualités.
1840. Lithographie, 1er état sur 2, avant la légende. Épreuve sur blanc provenant du dépôt légal. 22 x 22 cm. Delteil 792. 
Publiée dans Le Charivari, le 1er avril 1840.
BnF, Estampes et Photographie, Rés. Dc-180b (15)-Fol.


I - Histoire fusionnelle : On a vu la semaine dernière la rivalité entre journalisme et littérature. Pour de multiples raisons (le simple manque de temps, l'exigence d'objectivité chez le journaliste, l'exigence de probité chez le romancier, l'attachement spécifique au réel de l'un et de l'autre, etc.), le journaliste ne peut être en même temps un romancier et le romancier non plus un journaliste. Et pourtant, si on s'intéresse à l'histoire des deux pratiques, en France tout au moins, on s'aperçoit qu'elles se sont confondues pendant longtemps. 

Marie-Éve Thérenty a consacré plusieurs  études sur la question du journalisme littéraire, en particulier au XIXème siècle. Elle a écrit notamment La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au dix-neuvième siècle (Paris, Seuil, « Poétique », 2007) dont nous allons lire quelques extraits. 

Son enquête montre que  l'écriture des quotidiens au XIXème siècle est essentiellement littéraire. Cette adéquation est vrai jusqu'à la professionnalisation de la pratique du journalisme et la création des écoles de journalisme. 

p. 11-12 : "En fait, l'idée que le journalisme peut s'enseigner ne se développe pas avant les années 1930 (...) Plusieurs écoles ouvrent parallèlement leurs portes comme celle de Lille, fondée en 1928, ou l'École supérieure du journalisme de Paris, en 1929. En 1935, d'une certaine manière, les dernières ambiguïtés disparaissent avec le vote du statut professionnel qui distingue officiellement le journaliste ayant pour occupation principale régulière et rétribuée l'exercice de sa profession" et les intermittents pigistes du journal". 

p. 12 : "Avant la fin du XIXème siècle, il n'existe pas de véritable protocole d'écriture journalistique. Les grands journalistes (...), champions de la plume, se reconnaissent immédiatement à leur style. Surtout la plupart des journalistes ont des ambitions d'hommes de lettres, d'écrivains - le livre reste leur horizon"

p. 13 "La collusion entre la sphère des gens de lettres et celle des journalistes est totale" 

A l'exception de Flaubert, tous les hommes de lettres ont flirté avec la presse allant même pour certains, jusqu'à créer leur propre journal : Gautier, Barbey d'Aurevilly, Nerval, Balzac, Stendhal, George Sand, Lamartine, Dumas, Mallarmé, Victor Hugo, etc. parmi les plus connus. 

p. 16 "les écrivains se dépeignent comme les mercenaires des périodiques" 

p. 17-18 "On aurait tort de mépriser ces opérations de poétique éditoriale ; quelques chef-d'oeuvre de notre littérature du XIXème siècle proviennent de cette atelier à double ressort : Littérature et philosophie mêlées de Victor Hugo, Les Lettres d'un voyageur de George Sand, La Lanterne magique de Danville, tous les recueils d'Alphonse Allais, les Petits poème en prose de Baudelaire (...) La Comédie humaine d'Honoré de Balzac, la trilogie autobiographique de Jules Vallès (L'Enfant, Le Bachelier, L'Insurgé), etc.".


L'étude de Marie-Éve Térenthy s'efforce de démontrer trois aspects de la relation entre Littérature et Journalisme. 

1 - Il y  a un "profonde circularité entre les formes littéraires et les formes journalistiques, dues à la coïncidence essentielles entre les deux systèmes professionnels pendant quelques dizaines d'année - le même personnel circule dans les champs journalistique et littéraire - mais aussi et surtout à la concurrence inégale qui s'établit entre les deux régimes textuels. (...) La littérature assiste au triomphe du système médiatique" p. 18

"le journal connaît une littérarisation ambigüe" : même si en apparence les écrivains fissurent le journal, ils s'en servent comme d'un "laboratoire journalistique". Quant au journal, il s'inspire des nouvelles formes littéraires et il "adopte les protocole narratif du roman" p. 20

2 - "la littérarisation du journal passe par une fictionnalisation du quotidien"

3 - On assiste à "un changement de paradigme entre le journalisme des années 1830 et celui des années 1880" (p. 22)
"Se développe un régime de la "chose vue" qui prime sur la parole. Le journal ne doit plus seulement raconter, à la fin des années 1960, mais beaucoup plus nettement témoigner. Le journaliste devient donc la conscience observante du siècle en charge de l'examen du monde, responsable de la constitution des protocoles du témoignage oculaire". (p.23)

p. 41 Naissance des "princes du reportages" qui deviennent les "vedettes des journaux" p. 45 "se jouent du côté du reportage et notamment du grand reportage des enjeux essentiels pour la littérature"

Jusqu'à la "retrait très progressif de la littérature du quotidien marque la fin d'une conception du littéraire comme médiation au profit d'autres ferments démocratiques : la fonction d'ambassadeur du reporter, et l'utilisation du stéréotype dans la critique" p. 40


II - Balzac, journaliste : 

Marie-Éve Thérenty dirige également une nouvelle collection chez Garnier-Flammarion "Journaliste-écrivain". Elle a choisi et présenté les articles et chroniques du volume Balzac, journaliste (Flammarion, 2014). 

p. 8 Elle montre, dans une longue introduction, la position paradoxale de Balzac à l'égard de la presse. Tantôt extrêmement satirique  (dénonçant les "rienologues" "Si la presse n'existait pas, il faudrait ne pas l'inventer" (Balzac, Les Journalistes, Monographies de la presse parisienne, Arléa, 1998, p. 19) tantôt enthousiaste.

p. 8 "Balzac est également conscient que la presse est l'antichambre principale de la littérature."

p. 9 Balzac incarne "la figure paradoxale de l'écrivain-journaliste"

P. 10 Sa première collaboration date de 1924 : il fait un compte-rendu sur Le Mulâtre (Feuilleton littéraire, 6 mars 1824) dans lequel il dénonce les procédés romanesques grossiers et extravagants de son auteur qu'il démasque à l'occasion. 

Profitons pour lire quelques extraits de ce compte-rendu. (p. 46-50)

p. 10 Le tournant de 1830 : Balzac prend conscience que la littérature "ne nourrit pas son homme". "Il est convaincu de l'incapacité de la librairie à faire vivre les écrivains"


p. 40 "Cette hybridation entre l'ouvre journalistique et littéraire est la caractéristique la mieux partagée des écrivains du XIX ème siècle - c'est une découverte récente de l'histoire littéraire. Balzac non seulement est le premier à l'avoir pratiquée avec ce systématisme et cette ampleur mais surtout loin de se contenter, comme beaucoup de reprises citationnelles, il a inventé entre les deux supports des dispositifs de renvois, de réflexions et de miroitements d'une grande complexité qui le placent, comme George Sand, Théophile Gautier, Stéphane mallarmé, Guy de Maupassant et Octave Mirabeau, au Panthéon des écrivains-journalistes". 





III - Une perspective d'interview avec Kan Chia-ping sur Balzac et le journalisme
Exercice pour la semaine prochaine pour préparer l'interview. 

1 - Lisez les documents consacrés à la littérature et la presse au XIX eme siècle et à Balzac
2 - Élaborez à partir d'eux une quinzaine de question que nous soumettrons à Mme Kan Chia-ping. 

IV - Écoutez des travaux antérieurs.
Entretiens et portraits publiés sur le site du BFT par exemple

·         Samba :

·         Sophie Hong :

·         Arnaud Lechat :


Les articles sont classés dans la rubrique « Dossiers et grands entretiens »  accessible sur la page d’accueil du BFT. Certains apparaissent également actuellement à la Une déroulante (Sophie Hong) ou dans ‘Actualité’ (Arnaud et Samba).

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