mercredi 30 novembre 2016

Cours n°39 grande figure du journalisme littéraire en VF : Jean Hatsfeld et la "morale de la langue"

"Un génocide n'est pas une guerre particulièrement meurtrière et cruelle. C'est un projet d'extermination.  Au  lendemain d'une guerre, les survivants éprouvent un fort besoin de témoigner ;  au lendemain d'un génocide, au contraire les survivants aspirent étrangement au silence"

Jean Hatzfeld, Dans le nu de la vie, récits des marais rwandais, Paris, Seuil, 2000, p. 9

 "Sous sa plume, la façon de s'exprimer des Rwandais, lourde comme la glèbe et imagée comme un pan de ciel au « pays des mille collines », touche à ce que l'écrivain allemand Heinrich Böll appelait « la morale de la langue », la vérité humainement accessible"

Stephen Smith, "Hatzfeld interroge les bourreaux", Le Monde, 22 aout 2003


Jean Hatzfeld à Sarajevo


- Stages à Pinewave (bilan) et stages au BFT et à Asialyst.

- Consignes pour la fiche de lecture en 5 parties : présenter à l'écrit et à l'oral pour le 12 janvier


1 - Courte présentation biographique (une dizaine de lignes maximum)
2 - Résumé (un paragraphe d'une quinzaine de lignes)
3 - Sélection d'un extrait (une vingtaine de lignes) et analyses fines de l'extrait (pourquoi cet extrait est intéressant et en quoi il relève du journalisme littéraire ?)
4 - Commentaires personnelles (Qu'en avez-vous pensez ?)
5 - Interview fictif (imaginez une interview avec l'auteur)

Soyez attentif à replacer chaque étape de la fiche de lecture dans la problématique du cours, c'est-à-dire qu'il faut sans cesse se demander en quoi le roman que vous étudiez relève du "journalisme littéraire".  

Cette présentation correspondra à une note pour la partie théorique du cours (je devrais vérifier si vous avez compris les enjeux théoriques du cours).  


- Revoir les questions pour l'entretien.


I - Deux articles du Monde  par Stephen Smith : Stephen Smith est un journaliste et intellectuel qui a laissé, malgré la rapidité de son passage, son empreinte au Monde . Il est l'auteur notamment de Négrologie, un essai polémiste qui renverse la logique de victimisation qui interdit au gouvernement africain d'être responsable de leurs actes...


Au coeur de la nuit rwandaise
LE MONDE | 24.11.2000 à 00h00 • Mis à jour le 24.11.2000 à 00h00 |
Par
STEPHEN SMITH
Il existe un pays en Afrique où le voisin est appelé « avoisinant », sans doute parce qu'il est tellement proche qu'il vous touche. On y dit aussi « couper » pour massacrer, découper en morceaux. Dans ce pays, le Rwanda, des centaines de milliers de Tutsis ont été « coupés » par leurs « avoisinants » hutus en 1994, en l'espace de trois mois, à la machette. Nous le savons. Cependant, six ans après avoir eu lieu, ce génocide, le premier en terre africaine, ne nous a toujours pas atteint. Cette tuerie de masse planifiée est restée un événement au coeur du continent noir, qui nous a été rapporté mais sur lequel nous ne mettons ni visages ni voix. Le livre de Jean Hatzfeld n'est pas le premier à rendre son lieu familier et ses noms personnels au génocide rwandais. Mais il y parvient mieux que d'autres grâce à ce que le défunt Prix Nobel de la littérature, Heinrich Böll, appelait, d'une expression terriblement allemande, « la morale de la langue ».
Journaliste à Libération, prix Albert Londres, reporter de guerre grièvement blessé à Sarajevo, Jean Hatzfeld, déjà auteur de deux livres sur un pays disparu, l'ex-Yougoslavie (1), est en rupture de ban avec sa profession. Peut-être fallait-il l'être pour aller passer des mois sur quinze collines au Rwanda, dans la commune de Nyamata, là où cinq sur six Tutsis ont été tués en cent jours. 50 000 morts hantent cet endroit, la mémoire des rescapés. Ce sont des récits de survivants que rassemble ce livre, quatorze monologues reliés par des textes de transition et illustrés de portraits, en noir et blanc, de Raymond Depardon. A tourner les pages, le génocide cesse d'être un non-lieu, aussi au sens d'une exemption de justice. Il devient crime contre l'humanité, parce qu'il habite des maisons, tue le temps « Au coin des veuves », se fourre dans des bananeraies, une forêt d'eucalyptus, des marais. Il s'incarne dans un jeune berger, un vieil enseignant, une couturière, un aide-maçon, des cultivateurs et Sylvie Umubyeyi, assistante sociale et tenancière d'un restaurant, « La Permanence ».
C'est elle qui s'explique sur la langue commune des rescapés. « Ça coule comme ça, parce que, si on revient de là-bas, on a voyagé dans le nu de la vie ». Innocent Rwililiza, trente-huit ans, se souvient : « On était couverts de boue parce qu'on ne pouvait plus se nettoyer. Il y avait des mamans qui avaient perdu leur pagne, des filles qui s'enroulaient les sous-vêtements sur la tête pour se protéger du soleil. Il y en a qui souffraient de blessures purulentes. Quand on retrouvait la tranquillité, le soir, on s'asseyait les uns aux côtés des autres, pour se retirer les poux et se frotter la peau. » Le jour, il fallait se cacher des Hutus armés de machettes ou de gourdins, qui exterminaient en chantant. Trois d'entre eux, isolés et encerclés par les ombres qu'ils pourchassaient, se sont justifiés : « A force de tuer, on avait oublié de vous considérer.»
Quel est le ressort caché au bout de la nuit ? « Plus on mourait, plus on était préparés à mourir et plus on courait vite pour gagner un moment de vie », dit Innocent Rwililiza. « Je ne peux expliquer ce phénomène. Ce n'est pas un réflexe animal : parce que l'animal, lui, il veut vivre parce qu'il n'est jamais certain de mourir, puisqu'il ignore ce que signifie la mort. Pour nous, c'était une terrible envie origi- nelle, si je puis dire maladroitement. » Le livre de Jean Hatzfeld vit des « maladresses » de langage des rescapés.
L'auteur a tort de croire, et de faire croire, que les survivants du génocide au Rwanda se murent dans « un silence aussi énigmatique que le silence des rescapés au lendemain de l'ouverture des camps de concentration nazis ». C'est faux dans les deux cas. Nombreux sont déjà les témoignages recueillis au Rwanda et, dès 1955, l'un des premiers historiens de la Shoah, Philip Friedman, avait recensé plus de 18000 écrits de survivants de l'Holocauste. Encore, hier comme aujourd'hui, faut-il être lu, entendu. « Pour tisser un fil jusqu'à une personne qui a été meurtrie, explique Sylvie Umubyeyi, il faut l'encourager d'abord à s'ouvrir un peu et à se décharger de quelques pensées, dans lesquelles apparaîtront les noeuds de son désarroi. » Jean Hatzfeld y est parvenu admirablement.



Conversation Hatzfeld interroge les bourreaux
LE MONDE | 22.08.2003 à 00h00 |
Par
Stephen Smith

Pour trouver une issue à l'ultime cercle de l'enfer qu'a été le génocide au Rwanda, la tentative d'exterminer la minorité tutsie en cent jours, d'avril à juillet 1994, Jean Hatzfeld sème de petites pierres blanches. D'apparence modeste, son entreprise poursuit une ambition à la hauteur de l'holocauste africain. Apurée d'accusations ou d'indignation, elle ne vise pas à culpabiliser qui que ce soit. Certes, elle met chacun face à son ignorance, son indifférence ou son inconscience, toutes les variations du refus de comprendre comment, au vu et au su du monde entier, devant les caméras de télévision, des centaines de milliers de personnes ont pu être « coupées » à la machette. Comment les tueurs ont-ils vécu la mise à mort de leurs voisins ? Pour le saisir, Jean Hatzfeld leur donne la parole dans Une saison de machettes. Récits (Le Seuil, « Fiction & Cie », 315 p., 19 €).
Lui-même, peut-être à force de naviguer dans des plaies ouvertes, a la parole prudente. Non pas qu'il retournerait chaque mot dans sa bouche, mais il se méfie de l'emphase, l'arme de la bêtise humaine. « Bien sûr, ça peut devenir obsessionnel », finit-il par dire du meurtre en masse, au terme d'une longue conversation. Il ne s'approchera pas davantage d'une confidence. A quoi bon aussi ? Il est seulement là pour « aider des paysans rwandais à être Primo Levi ».
Jean Hatzfeld, alors grand reporter à Libération, est allé au Rwanda pendant le génocide. Comme beaucoup de journalistes, il a « couvert » le massacre organisé des Tutsis. Mais, à la différence des autres, il a découvert une horreur dont il savait d'emblée que le journalisme ne pouvait pas rendre compte. « J'étais conscient du fait qu'il fallait du temps pour comprendre et, surtout, qu'il fallait du temps aux Rwandais pour pouvoir raconter, un jour, ces événements », se souvient-il.
SANS DEVOIR NI COMPONCTION
En 1994, il est donc reparti suivre d'autres actualités, des guerres souvent, dans les Balkans, en Irak, au Proche-Orient. Et il n'est revenu que journaliste en rupture de ban avec sa profession. Depuis quatre ans, celui qui veut être « l'écrivain de ces gens-là » se consacre à la mémoire du génocide africain, sans « devoir » en bandoulière ni componction commémorative.
Il y a, d'un côté, le Rwanda, son ancien régime et son gouvernement actuel, la « grande » histoire dont la France et ses éventuelles compromissions dans l'avènement de la tuerie font partie ; il y a, de l'autre côté, la commune de Nyamata sur quatorze collines, avec ses 120 000 habitants avant le génocide, dont seulement 50 000 ont survécu, 5 Tutsis sur 6 y ayant été massacrés.
Jean Hatzfeld parle seulement de ce qu'il connaît, Nyamata et son « génocide de proximité » qu'il appelle aussi un « génocide agricole » parce qu'il a été commis par des paysans avec leurs moyens, la machette, et leur mentalité. « A Nyamata, j'ai ma place, c'est un autre endroit où je peux être », dit-il, pour aussitôt ajouter : « Mais je ne serai jamais accepté là-bas, c'est trop difficile pour un Blanc. »
Il est mieux placé que quiconque pour en juger. Depuis quatre ans, il partage son temps entre Paris et Nyamata. Mais ce n'est qu'après la publication des témoignages de rescapés, il y a deux ans, sous le titre Dans le nu de la vie (Seuil), qu'il a passé un premier fossé de méfiance et d'incompréhension. Ses « amis » ne se sont pas sentis trahis. Que d'autres fossés resteraient à franchir, il l'a compris quand il s'est mis à recueillir la parole de leurs « ennemis ». Nul ne lui en a fait le reproche, « tout a été recouvert de mutisme, la réprobation n'a jamais été exprimée ». Et comment eût-il pu en être autrement alors que son confident et interprète, l'homme qui lui avait désigné le groupe de tueurs en prison à interviewer, et qui a assisté aux entretiens, ne lui avait pas dit que, parmi ces condamnés, se trouvait l'assassin de ses propres parents ?
Cet ami parmi les amis se prénomme... Innocent. Des rapports secrets que les mots et la réalité entretiennent au Rwanda, Jean Hatzfeld n'est pas le seul à s'émerveiller, non sans une trace de crainte. Mais sous sa plume, la façon de s'exprimer des Rwandais, lourde comme la glèbe et imagée comme un pan de ciel au « pays des mille collines », touche à ce que l'écrivain allemand Heinrich Böll appelait « la morale de la langue », la vérité humainement accessible.
Au fond, avant et après tant de morts, qu'est-ce qui distingue les Hutus et les Tutsis ? « Rien, sinon que les uns élèvent des vaches et les autres non », explique Jean Hatzfeld. « Rien, sinon que les uns ont été amenés à tuer les autres. » Mais pourquoi ? Pour répondre à la question, il renvoie à la parole d'un tueur hutu, marié à une femme tutsie, qui a participé au génocide pour sauver la vie de son épouse. « Les Hutus se plaisaient à multiplier des sornettes sans vraisemblance pour creuser une mince ligne de discorde entre les deux ethnies, explique Jean-Baptiste Murangira. L'important était de garder un écart entre les deux en toute occasion, dans l'attente d'une aggravation. »

On ne saurait mieux dire. Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle cette parole étonnante habite Jean Hatzfeld. En fait, c'est aussi la sienne. Car, chez lui, l'autre est un « je ».
III - une émission de radio : "Par l'écriture faire renaître de l'humanité"

Jean Hatzfeld était récemment invité de l'émission de Nicolas Demorand, un jour dans le monde :

https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-27-aout-2015

III - Un extrait de Dans le nu de la vie. 


1 - La métaphore de la nudité, nous l'avons commenté la semaine dernière. Voici un nouvel aspect terrifiant de cette métaphore.

Nous avons commenté la "nudité" avec François Julien. Nous pourrions aussi commenté la référence à la "vie". Enjambent distingue à partir du grec, deux sortes de vie : la "bio" et la "zoé". L'une serait la "vie bonne" et l'autre serait la "vie brute, animale, féroce".

Mais la férocité dont il est question est au-delà de ce qu'Agamben définit ou encore au-delà de l'état sauvage qui fait de l'homme un loup pour l'homme dans le système politique de Hobbes.



2 - Nous avons également, avec Camus, abordé ce que Stephen Smith appelle la "morale de l'écriture" (reprenant Heinrich Böll).
































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